Conversation avec Raphaëlle Levet

Vous êtes mordus de déco

mais, une fois votre joli magazine fermé,

comment adapter les préceptes de pros chez vous ?

Place aux personnalités qui nous sont chères et qui ont eu

la gentillesse de partager leur vision de la décoration.

Avec générosité, elles vous livrent leurs choix assumés
et partagent tips et conseils inspirants.

Aujourd’hui la parole à

Raphaëlle Levet

Raphaëlle, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis designer d’espace et décoratrice à Paris. J’ai créé ma première agence il y a six ans. Je suis également cofondatrice de l’agence BR Design Interieur et, depuis quatre ans, avec Bénédicte Pierens, nous avons eu la chance de réaliser de nombreux projets dans l’hôtellerie mais également des maisons, des boutiques, des appartements à Paris et ailleurs.


	Après une longue expérience dans la presse féminine et décoration haut de gamme, j’étais arrivée au bout d’un cycle et j’ai sauté le pas pour changer de vie professionnelle et enfin écouter mes envies : j’ai suivi ma passion pour l’architecture intérieure et la décoration et je ne le regrette pas une seconde !

J’ai besoin de m’amuser dans mes projets, d’y trouver du plaisir. C’est un métier très complet et exigeant qui demande de la rigueur et une implication de tous les instants. Yoga addict, je suis sensible à l’harmonie aussi bien intérieure qu’extérieure. Je cherche à retrouver cet équilibre dans ma relation de confiance avec mes clients et mon équipe : c’est mon moteur.

J’essaye d’insuffler à mes projets mon énergie et un style chic décontracté sans jamais rien imposer. Tout se fait très naturellement avec beaucoup de douceur et de détermination. L’objectif est de créer des lieux de vie dans lesquels on se sent bien, que ce soit pour des hôtels, des boutiques, des appartements ou des maisons.

Mon style est fait de métissages avec de multiples influences, j’aime piocher dans le passé, bousculer les classiques, ajouter un brin de fantaisie et susciter des émotions.

Votre mantra en déco ?

« Le décor transmet l’esprit du lieu et des âmes qui y habitent. »

Cette jolie phrase me parle : je l’ai trouvée dans l’excellent livre d’Inès de la Fressange et Marin Montagut, Sous les toits de Paris.

J’ai la chance de créer des lieux de vie, de rentrer dans l’intimité de ses occupants ; qu’ils se sentent heureux chez eux, c’est ce qui fait la beauté de mon métier.

Le bon goût, vous en pensez quoi ?

Je pense que le goût se travaille et s’affine au fil du temps. Imaginer les mélanges qui fonctionnent, trouver les harmonies colorées, c’est comme avoir un bon palais en cuisine : le goût évite les indigestions ! En revanche la notion de bon goût m’ennuie profondément. Trop lisses, trop convenus, les assortiments trop parfaits, très peu pour moi : c’est un frein à la créativité. Je préfère parler d’énergie, d’harmonie, de bonnes ondes.

Si vous étiez une pièce de la maison ?

La cuisine sans hésiter, c’est le cœur de la maison, j’y passe des heures. Cuisiner, c’est la générosité, la convivialité, le partage. C’est aussi un espace de créativité. Je cuisine comme j’imagine un décor : travailler les accords, donner du goût, équilibrer, relever, tous les ingrédients pour une recette gourmande ! C’est une pièce que j’aime chaleureuse et animée, que je décore avec des collections de vaisselle ancienne, des céramiques artisanales, des tableaux… J’aime aussi y introduire des matériaux nobles pour oublier les éléments techniques.

Le top 3 de votre bucklet list

Voyage, voyage : une croisière sur un beau voilier sous les tropiques, retourner au Brésil où j’ai vécu cinq ans. Sinon, plus accessible, quelques jours à Prague ou revoir Venise me ferait tout autant plaisir ! Je reviens toujours avec de l’artisanat local dans ma valise et surtout riche de nouvelles inspirations et remplie d’énergie.
Avoir un appartement à la montagne que je décorerais dans un esprit minimaliste et chaleureux avec beaucoup de bois et de tissus tout moelleux.
Prendre des cours de chant pour accompagner mon pianiste de mari !

Si vous étiez un artiste ?

Je suis très sensible à l’art sous toutes ses formes, particulièrement la peinture pour le travail des couleurs et la précision du détail. Les émotions qui se dégagent des tableaux impressionnistes me touchent particulièrement. J’ai récemment découvert les peintres danois du XIX^e siècle, les intérieurs de Vilhelm Hammershøi et les lumières du Nord sublimées par Peder Severin Krøyer. Dans un autre registre, j’aime les formes simples et épurées comme les sculptures de Brancusi et les papiers découpés de Matisse.

Votre projet de rêve ?

Aménager un hôtel est une superbe expérience pour une architecte d’intérieur. J’aimerais bien que le prochain soit à la montagne ou sur les rives de la Méditerranée, ou peut-être dans un château. En tout cas dans un beau cadre avec une histoire forte à raconter.

J’adorerais aussi décorer un restaurant et travailler avec le chef sur une correspondance entre l’assiette et le décor !

Votre obsession du moment ?

Je suis obsédée depuis toujours par les matières naturelles : le bois, le travertin, le marbre de couleur, la céramique, la paille, le rotin et la chaux apportent beaucoup de chaleur et de personnalité aux pièces, j’en mets partout. Sans doute des vestiges de mon ancienne maison au Brésil.

J’ai aussi un toc avec les coussins, je ne peux pas m’empêcher d’en acheter ! C’est le petit truc qui rend le salon beaucoup plus accueillant et puis c’est facile à changer si on se lasse. Bon, cela devient problématique à la maison !

Les astuces de Raphaëlle

Les mouvements d’architecture qui vous inspirent ?

Il y en a tellement ! Dans le désordre, le Bauhaus, l’Art déco évidemment, mais aussi le mouvement Arts & Crafts précurseur de l’Art nouveau. J’apprécie également le XVIII^e siècle, les merveilles du style mudéjar de Séville et la liberté des 70’s mais jamais en total look.

J’ai des goûts éclectiques ; j’aime marier les styles entre eux et les twister, leur apporter ma touche de fantaisie pour ne pas être premier degré. C’est cette liberté avec les styles qui rend une déco vivante et chaleureuse.

La force de la forme

L’arrondi définitivement et depuis longtemps m’inspire totalement. Symbole de douceur, de fluidité, d’échanges, il est de plus en plus présent dans nos projets.

Il évoque l’arrondi si présent dans l’Art déco, mais aussi la forme libre inspirée de l’architecture méditerranéenne qui donne tout de suite un petit air de vacances, même à Paris. Que ce soit pour des niches de bibliothèque maçonnées, des décors de portes de placards (comme pour l’hôtel Léopold à Paris), des arches entre deux pièces, des verrières ou des coussins, si je m’écoutais j’en ajouterais partout !

Graphisme et couleur

La couleur est très présente dans toutes les réalisations de l’agence mais on aime garder un fil conducteur que l’on retrouvera dans toutes les pièces. Une entrée sombre pour que par contraste le salon paraisse plus lumineux, des murs de couleur pour donner de la profondeur, un plafond peint en couleur pour un espace plus intime, etc. Le graphisme sera utilisé sur des coussins à motifs, des tapis, du mobilier d’appoint, sur les murs avec les papiers peints. On raffole des sols graphiques et on a même créé des têtes de lit entièrement fleuries pour l’hôtel Léopold. Évidemment il ne faut pas hésiter à mixer les imprimés pour plus de dynamisme.

Comment séparer des espaces ?

La couleur est un excellent moyen pour structurer les espaces sans cloisonner. Par exemple pour créer une entrée dans un espace ouvert, il ne faut pas hésiter à peindre murs et plafonds d’une couleur foncée.
	J’aime aussi beaucoup les verrières mais dans une version ultra fine, plus sophistiquée que les verrières d’atelier, avec des dessins plus inspirés par les courbes de l’Art nouveau que par les angles de l’Art déco et des matières comme le chêne ou l’acier.

Rangements sur mesure ou meuble de style ?

Souvent les deux cohabitent chez nos clients et c’est très amusant de recycler ! Héritage familial ou chiné avec amour, le mobilier de style apporte toujours beaucoup de charme à condition de l’utiliser avec parcimonie et de le pimper. On évitera l’armoire normande lourde et encombrante dans un appartement parisien, mais la commode Louis XV accepte la confrontation des styles et peut trouver sa place dans un univers contemporain, ce qui donnera du cachet à la pièce. J’avoue cependant trouver un peu plus de charme à du mobilier vintage avec ses imperfections et son vécu.

J’adore dessiner de l’agencement sur mesure qui reste un must pour optimiser les espaces et gagner du rangement, avec un travail créatif sur les portes qui se fondent dans le décor ou s’habillent joliment de détails comme des inclusions de cannage ou du papier peint, des poignées bijoux, etc.

Le sens du détail

Je suis une maniaque du détail : un interrupteur mal choisi peut ruiner une déco et des ampoules trop blanches vont plomber l’ambiance. Je regarde aussi beaucoup les poignées de porte. L’attention portée aux détails donne un aspect plus fini à la déco, même avec un budget limité.

Trouver la singularité dans la tendance : un combat ou une évidence ?

Notre travail consiste à révéler la personnalité d’un lieu, et non à en faire un décor de boutique. Chaque projet exprime sa singularité, mais nous sommes forcément inscrits dans notre époque et influencés par la tendance ou les couleurs du moment. C’est tout le paradoxe : créer un style intemporel dont on ne se lassera pas et en même temps personnel avec la touche tendance et sympa du moment. Nous y répondons par les mélanges entre le neuf et l’ancien, le métissage des styles. Et puis, après quelques années, on peut facilement changer un papier peint ou une couleur sur un mur.

Votre toc signature ?

Toutes les nuances de vert (sapin, émeraude, kaki, bronze, etc.) que j’associe aux tons de rose, terracotta ou brique. Quand il y a une belle hauteur sous plafond, j’aime peindre les soubassements et les souligner d’un filet noir ou doré, ce qui permet de jouer avec les volumes. Sans oublier mon obsession pour les miroirs anciens en bois doré que je chine sur internet et au gré de mes balades.